Arbre à saucisses Kigelia africana

Au cours de notre visite de la route des esclaves à Ouidah, au Bénin notre attention a été attirée par un arbre singulier et imposant : l’arbre à saucisses ou saucissonnier (Kigelia africana). Cette espèce de la famille des Bignoniaceae est réputée et originaire du Sénégal, mais on la retrouve également en Tanzanie, au Mozambique, en Ouganda, dans les zones humides de l’ouest du Kenya, en Zambie et au Zimbabwe, notamment le long des rives du Zambèze. On l’observe aussi au Botswana, le long des rives de la rivière Chobe et dans le delta de l’Okavango, ainsi qu’au nord de l’Afrique du Sud, où les Afrikaners le nomment worsboom. Introduit aux Antilles, il est présent à Marie-Galante à la suite de son importation durant l’époque de l’esclavage.

Arbre de taille moyenne, Kigelia africana peut atteindre entre 10 et 15 mètres de hauteur. Il possède de larges feuilles pennées composées de 8 à 10 folioles ovales pouvant mesurer jusqu’à 30 cm de long. Selon le climat, son feuillage est persistant ou caduc. Ses grosses fleurs campanulées à cinq pétales, d’un rouge profond, s’épanouissent la nuit en dégageant une odeur nauséabonde qui imite celle d’un fruit flétri. Cette particularité attire les chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae, qui assurent sa pollinisation. Les fleurs, regroupées en grappes pendantes, empêchent l’autofécondation, nécessitant ainsi le pollen d’un autre arbre pour produire des fruits. Après fécondation, elles donnent naissance à de gros fruits bruns qui pendent en grappe, semblables à des saucisses géantes. Ces fruits peuvent mesurer jusqu’à un mètre de long et peser plusieurs kilos. Leur contenu fibreux est souvent considéré comme non comestible pour l’homme, bien que localement consommé cuit.

Cet arbre, au-delà de son apparence atypique, porte une forte symbolique pour les populations locales et, plus particulièrement, pour les esclaves africains arrachés à leur terre natale. Sur la route du non-retour, qui menait aux navires négriers, cet arbre représentait un dernier espoir. La croyance voulait que faire le tour de cet arbre permette à l’âme du captif de revenir au Bénin après sa mort, traversant les océans pour retrouver sa terre d’origine. Ce rituel, profondément ancré dans les traditions et la spiritualité locales, conférait à l’arbre un statut sacré, une connexion entre les vivants et les ancêtres déportés.

La reproduction de Kigelia africana repose sur la dissémination de ses graines après la décomposition du fruit ou après ingestion par des animaux, principalement des éléphants et des rhinocéros, qui participent activement à sa régénération en dispersant les graines dans leur environnement.

Les usages de Kigelia africana sont aussi variés que fascinants. Outre son rôle symbolique et décoratif, il est utilisé dans plusieurs domaines. En cosmétique, sa pulpe est employée pour raffermir la peau et tonifier la poitrine féminine, grâce aux flavonoïdes veinotoniques et aux saponosides qu’elle contient. Les huiles essentielles extraites de cet arbre auraient des effets similaires. En médecine traditionnelle, son écorce est réputée efficace contre les morsures de serpent, ainsi que pour soulager les maux de dents et d’estomac. Son fruit, bien que toxique à l’état brut, est utilisé en décoction pour ses propriétés antiseptiques et anti-inflammatoires.

Son usage ne se limite pas à la santé. En Afrique de l’Est, notamment chez les Massaïs, la pulpe de ses fruits, une fois coupée en tranches et cuite au four, est utilisée pour la fermentation d’une bière locale appelée murutina. Son bois, résistant et durable, sert à la fabrication de pirogues, de meubles et d’outils agricoles.

Notre découverte de cet arbre ne fut pas qu’une simple observation botanique. Chargé d’histoire et de symbolisme, il incarne à la fois la souffrance et l’espoir, la mémoire et la résilience d’un peuple marqué par l’histoire de l’esclavage. L’arbre à saucisses, avec ses racines profondément ancrées dans la terre béninoise, reste un puissant témoignage du lien indéfectible entre les générations passées et présentes.