Chimpanzé Verus, spécificité du Chimpanzé de Bossou Guinée forestière *
Le chimpanzé de Bossou, situé en Guinée forestière, est un fascinant exemple d’intelligence animale et de comportement culturel. Ces chimpanzés d’Afrique de l’Ouest sont particulièrement connus pour leur utilisation sophistiquée d’outils, une compétence qui est probablement liée à leur longue cohabitation avec les humains.
À l’exception de l’Homme, les chimpanzés sont les seuls primates qui fabriquent et utilisent des outils de manière presque quotidienne. Ils s’en servent pour diverses tâches : atteindre des aliments autrement inaccessibles, se défendre, communiquer, explorer leur environnement, ou à des fins hygiéniques. Les scientifiques ont observé des variations comportementales significatives entre différentes communautés de chimpanzés en Afrique, particulièrement dans leur utilisation d’outils. Ces différences sont aujourd’hui considérées comme des variantes culturelles.
Le chimpanzé de Bossou est réputé pour leur habileté à concasser des noix de palmier à huile (Elaeis guineensis) en utilisant des pierres comme enclume et marteau. Cette technique représente la forme la plus sophistiquée d’utilisation d’outils jamais observée en milieu naturel. De plus, ces chimpanzés montrent une incroyable adaptabilité dans leur utilisation d’outils :
Ils plient des feuilles pour en faire des « éponges » avec lesquelles ils peuvent absorber et boire de l’eau. Ils utilisent de fines branches pour extraire les fourmis des fourmilières. Ils insèrent des bâtons dans les ruches pour extraire le miel. Ils se servent de bâtons pour recueillir les algues flottant sur les mares. Ils utilisent les pétioles pour piler et extraire le cœur du palmier.
Ces comportements témoignent de la capacité du chimpanzé de Bossou à s’adapter à leur environnement et à développer des techniques innovantes pour survivre. Leur utilisation d’outils non seulement pour la nourriture mais aussi pour l’hygiène et la communication illustre une complexité comportementale qui rapproche ces primates des humains, leur plus proches parents évolutifs.
Observer ces chimpanzés en action est une expérience unique qui révèle non seulement leur ingéniosité mais aussi la richesse culturelle de leurs communautés, un aspect qui mérite d’être protégé et étudié davantage.
Le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest (Pan troglodytes verus) est une espèce en danger critique d’extinction, ayant déjà disparu de quatre pays. Aujourd’hui, la Guinée et la Côte d’Ivoire abritent les plus grandes populations restantes de ces chimpanzés, leur conférant un rôle crucial dans la conservation de l’espèce.
Pour prévenir l’extinction des chimpanzés et protéger leur environnement, il est indispensable de bien comprendre leur écologie et leur comportement. Il existe actuellement six sites majeurs consacrés à la recherche à long terme sur les chimpanzés sauvages en Afrique, et Bossou en fait partie. Le chimpanzé de Bossou maintient des liens sociaux étroits au sein de leur communauté grâce à un répertoire complexe de comportements affiliatifs.
Durant la journée, ils se déplacent en sous-groupes de taille variable, capables de parcourir de grandes distances à la recherche de leur nourriture favorite. Principalement frugivores, ils consomment aussi une grande variété d’autres aliments. À Bossou, par exemple, leur régime alimentaire inclut des feuilles, fleurs, graines, sève, écorce, gomme, champignons, algues, insectes, œufs d’oiseaux et petits mammifères.
Au crépuscule, chaque adulte élabore un nid en pliant et entrelaçant les branches d’un arbre, où ils passent la nuit. Les jeunes chimpanzés restent avec leur mère jusqu’à ce qu’ils soient sevrés, entre 4 et 6 ans.
Cette vie sociale et écologique complexe rend leur étude fascinante et essentielle pour leur protection. La conservation des chimpanzés d’Afrique de l’Ouest ne dépend pas seulement des efforts locaux, mais aussi de la compréhension et du respect globaux de leur importance pour la biodiversité.
Le village de Bossou, situé dans la Préfecture de Lola, se trouve à 1050 kilomètres de Conakry et à 6 kilomètres des contreforts des Monts Nimba, près de la frontière avec la Côte d’Ivoire et le Liberia. Entouré de petites collines couvertes de forêt primaire et secondaire, Bossou est niché dans un environnement naturel riche. Le paysage au pied des collines est une mosaïque de champs cultivés ou abandonnés, de forêts galeries, de savanes arborées et arbustives. Ces collines font partie de la zone strictement protégée des Monts Nimba, un site inscrit au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO et classé Réserve de Biosphère.
En 2002, les Monts Nimba ont été désignés comme l’un des six sites prioritaires pour la conservation des chimpanzés en Afrique de l’Ouest. Ce site transfrontalier inclut Bossou et Déré en Guinée ainsi que Tiapleu en Côte d’Ivoire. Le village de Bossou a été fondé par des membres de l’ethnie Manon, qui jouent un rôle crucial dans la protection des chimpanzés, qu’ils considèrent comme des animaux totems. Depuis plusieurs générations, les habitants de Bossou et des villages environnants cohabitent en harmonie avec les chimpanzés, partageant les ressources de la même forêt.
Cependant, malgré les efforts de protection à long terme, le chimpanzé de Bossou est aujourd’hui considérablement isolés des populations de chimpanzés des Monts Nimba avoisinants. Cette isolation peut poser un problème de viabilité pour la communauté de chimpanzés à l’avenir, en raison du manque de variabilité génétique entre les membres de la population.
La création du « corridor vert » a été initiée en 1997 par les chercheurs de KUPRI, en collaboration avec l’IREB, les populations locales, et avec le soutien de l’Ambassade du Japon et du gouvernement guinéen. Le projet vise à reboiser une savane s’étendant entre Bossou et les Monts Nimba sur une surface de 300 mètres de large sur 4 kilomètres de long. L’objectif est de rétablir le flux migratoire entre la communauté de chimpanzé de Bossou et les populations voisines. Les villages de Bossou, Séringbara, Nion, et Thuo participent activement à ce projet. Le projet du corridor vert est unique en son genre. Il augmente la connectivité entre des parcelles fragmentées de forêt, une approche innovante pour préserver la diversité génétique et assurer la survie de cette sous-espèce ainsi que d’autres animaux et plantes. Ce projet encourage les populations locales à s’impliquer directement dans la protection de leur environnement en offrant une alternative économique durable. Cette approche participative permet une meilleure compréhension des enjeux de la conservation au niveau local. Conjointement à un programme d’éducation environnementale mené dans les écoles, ce projet motive les jeunes générations à prendre en compte les enjeux de la conservation et à développer leurs propres initiatives.
Idéalement, le corridor vert se veut bien plus qu’un simple programme de reforestation: c’est un projet mené pour et par les populations locales. L’objectif est d’aider à faire germer une conscience environnementale collective dans le cœur des habitants de la zone, car ce sont eux les meilleurs garants de la conservation des ressources naturelles de la région. Pour promouvoir la croissance des arbres dans le corridor vert, quatre lignes directrices ont été développées. L’éradication des espèces herbacées se fait tout en préservant les espèces ligneuses déjà présentes dans le corridor. Il y a aussi un appui aux associations locales de villageois pour cultiver dans le corridor vert tout en plantant des jeunes arbres en alternance avec la culture de leur choix, cueillant et désherbant deux fois par an pendant un an. Cette technique présente de nombreux avantages: assurer que la végétation herbacée ne recolonise pas le terrain, promouvoir la fertilisation naturelle du sol, encourager la participation des villageois, et soulager l’habitat des chimpanzés de la forte pression agricole. Les plantations de jeunes arbres sont faites à une densité de 400 pousses par hectare. La priorité est généralement donnée à des espèces adaptées à la savane telles que Uapaca guineensis, Parkia bicolor, et Parinari excelsa. La croissance des arbres augmente progressivement l’ombrage du sol, aidant par la suite à la croissance d’espèces ligneuses ou rampantes moins résistantes en milieu savanicole mais représentant d’importantes sources de nourriture pour les chimpanzés. Une nouvelle technique basée sur l’installation d’Hexatubes, des abris pour arbres produits par Phytoculture Control au Japon, est utilisée pour protéger les jeunes arbres de l’invasion des herbes de la savane et pour éviter les dommages causés par les herbivores et la déshydratation. Ces tubes hexagonaux sont placés autour des jeunes pousses et y demeurent jusqu’à ce que la tige de l’arbre ait atteint 10 cm de diamètre. La maintenance des pare-feux ceinturant le corridor est effectuée trois fois par an afin d’inciter la régénération naturelle de la forêt et de protéger les arbres des feux de brousse.
Bien que ce projet ait considérablement progressé, il reste beaucoup à faire. Les efforts se poursuivent avec la constante collaboration des femmes, des jeunes, des associations villageoises, et des ONG locales, dont la contribution est inestimable pour la réussite de cette initiative de conservation unique.