Iguane rhinocéros Cyclura cornuta +

Nous étions venus au lac Enriquillo en République Dominicaine pour l’observer de nos propres yeux. L’iguane rhinocéros. Cyclura cornuta. Un nom rugueux, presque mythologique. Et dès notre premier contact avec lui, nous avons compris pourquoi. Cet animal semble tout droit sorti d’un autre temps, d’une époque où la Terre appartenait aux géants écailleux. C’est un lézard, oui. Mais un lézard hors norme.
Le premier que nous apercevons est étendu sur une pierre brûlante. Il mesure facilement plus d’un mètre, la queue représentant à elle seule la moitié de cette longueur. Son corps est massif, musclé, recouvert d’une peau grise, presque métallique, tachetée de brun. Il se fond parfaitement dans le décor minéral du désert. Mais ce qui nous frappe immédiatement, ce sont les trois petites cornes osseuses sur son museau. Voilà d’où vient son nom : l’iguane “rhinocéros”. Ces protubérances ne sont pas là pour faire joli : elles servent d’armure lorsqu’il se bat contre ses congénères, ou lorsqu’il évolue sur des terrains rocheux coupants.
Sa tête est large, ses pattes puissantes et armées de griffes impressionnantes. Une crête d’épines court le long de son dos, jusqu’à la queue. Chez les mâles, un fanon épais pend sous le cou, et leur silhouette imposante impressionne. Ce dimorphisme sexuel est évident : les femelles sont plus petites, avec des épines dorsales moins développées. Les mâles, eux, dégagent une aura de domination tranquille. Ils possèdent aussi des pores fémoraux visibles sur les cuisses, qui sécrètent des phéromones, une manière de marquer leur territoire.
Côté comportement, nous découvrons un animal diurne et territorial. Il passe la matinée à s’exposer au soleil pour élever sa température corporelle, car, comme tous les reptiles, il est poïkilotherme. L’après-midi, il devient plus actif, explorant son territoire, grignotant les plantes alentour. Il dort la nuit dans un terrier, un tronc creux ou une anfractuosité dans les rochers. Les mâles dominants défendent farouchement leur zone, notamment pendant la saison des amours. Pour intimider ou séduire, ils hochent la tête en cadence, dans une sorte de langage codé que seuls leurs congénères comprennent.
L’alimentation de l’iguane rhinocéros est essentiellement végétarienne : feuilles, fleurs, baies, fruits… tout ce que la maigre végétation du désert peut offrir. Il joue un rôle écologique crucial en dispersant les graines des fruits qu’il consomme. Et fait étonnant : les graines qui passent par son tube digestif germent plus rapidement. Mais il ne dédaigne pas un petit lézard ou un insecte de temps en temps, surtout s’il a besoin d’un complément protéique. Pour faire face au sel contenu dans les plantes désertiques, il possède une glande spéciale, située près des narines, qui excrète l’excès de sel — un peu comme les oiseaux marins.
Le cycle de vie de cet animal est également fascinant. Les mâles atteignent leur maturité sexuelle vers 4 ou 5 ans, les femelles dès 2 ou 3 ans. L’accouplement a lieu entre mai et juin, juste avant la saison des pluies. Après une parade nuptiale où les hochements de tête et les mouvements de queue abondent, la femelle creuse un terrier d’un mètre de profondeur pour y pondre en moyenne 17 œufs — parmi les plus gros du monde chez les lézards. Ces œufs incubent pendant environ 85 jours. À l’éclosion, les petits doivent tout de suite se débrouiller seuls et éviter les prédateurs. Très peu atteindront l’âge adulte. En captivité, un iguane rhinocéros peut vivre jusqu’à 20 ans, voire davantage.
Quant à sa répartition, elle se limite à l’île d’Hispaniola, partagée entre Haïti et la République dominicaine. Il vit aussi sur quelques îles proches, comme Beata ou l’île de Mona. Le lac Enriquillo, avec son climat aride et ses sols calcaires, est l’un des derniers bastions de l’espèce. C’est ici, dans les zones rocheuses et désertiques, qu’il prospère encore, malgré les menaces : déforestation, chasse, chiens errants, mangoustes, urbanisation. En Haïti, la situation est encore plus critique. Ce lézard ancien est aujourd’hui considéré comme espèce menacée.
Face à lui, nous avons eu le sentiment d’observer un survivant. Un témoin silencieux d’un écosystème fragile, précieux. Et c’est dans ce face-à-face entre l’humain et l’animal que naît peut-être la conscience de la responsabilité que nous portons : celle de protéger ces merveilles avant qu’elles ne disparaissent à jamais.
Nous avons également observé cet iguane rhnocéros en captivité à côté de Las Galeras en République Dominicaine