La Canée, perle vénitienne de Crète +

Le lendemain matin, nous quittons Réthymnon en suivant la route côtière nord (la E75), qui longe falaises abruptes et plages de galets avant de s’ouvrir sur des criques secrètes et des étendues de sable blanc pour rejoindre La Canée. Notre premier arrêt est pour la plage de Roche, à quelques kilomètres à peine de Réthymnon : sa côte découpée, sculptée par l’érosion, offre des abris improbables où l’on peut plonger dans une eau translucide, tandis que le vent modèle des arches naturelles dans la pierre.

Quand nous reprenons la route, le paysage change : les collines s’adoucissent, les oliviers cèdent la place aux palmiers, et la mer Égée nous accompagne sans discontinuer. Nous passons devant de petits villages accrochés aux flancs des montagnes, des chapelles blanches en surplomb de la route, et même quelques poteries artisanales disposées en tas aux abords de la chaussée, comme autant de signes de bienvenue.

En approchant de Chaniá — La Canée des anciens Vénitiens — la densité urbaine s’accentue, mais jamais de manière brutale : la ville s’étire doucement le long de la côte, intégrant ses bastions médiévaux, ses minarets élancés et ses églises orthodoxes aux dômes immaculés dans une mosaïque de styles. Officiellement deuxième capitale de la Crète depuis 1971, Chaniá nous séduit d’emblée par son vieux port vénitien, joyau du XVIᵉ siècle. Au pied du phare, reconstruit après la guerre et plus court que l’original, les barques colorées se balancent dans un reflet constant, tandis que sur le quai, les terrasses de tavernes nous invitent à nous asseoir et à déguster un dakos arrosé d’huile d’olive chaude.

Nous franchissons l’arche de la mosquée des Janissaires, bel exemple de l’architecture ottomane austère, où l’on ne trouvait ni minaret ni coupole extravagante, mais une élégance de lignes pures. Une légende locale raconte qu’un imam y organisa autrefois une veillée secrète pour préparer la résistance crétoise contre le sultan, et qu’à l’heure où le muezzin appelait à la prière, on entendait encore, sous les voûtes, les tambours de l’insurrection.

Dans les ruelles pavées de Topanas, nous croisons des demeures vénitiennes dont les façades pastel sont percées de fenêtres à meneaux, souvent protégées par de lourds volets en bois sculpté. Plus loin, dans Splantzia, une place ombragée abrite une vieille fontaine turque où l’eau jaillit encore, comme un clin d’œil à la coexistence millénaire des communautés. Parfois, une taverne s’y cache derrière un portail rouillé, offrant des mezzés à base de fromage mizithra ou de poulpe mariné, à déguster dans une cour pavée, sous un plafond de bougainvilliers.

Le marché couvert central nous ouvre ses étals grouillants de poissons frais, d’olives vertes et noires, de citrons géants et de miel crémeux. Nous faisons halte pour goûter un loukoum au rose, spécialité sucrée dont la recette aurait traversé l’empire ottoman avant de se nicher ici.

Plus loin, le Musée archéologique et la Fortezza vénitienne, posée sur la colline, nous racontent l’Antiquité minoenne et le siège ottoman de 1645 : on peut encore grimper sur les murailles, d’où la vue embrasse la baie en demi‑cercle, et imaginer les canons pointés vers la mer.

Si nous allions plus loin, les gorges de Samaria, à deux heures de route, attendent les randonneurs, tandis qu’à l’ouest, les eaux pastel de Balos et d’Elafonissi promettent un spectacle digne d’une carte postale.

Pour nous, la journée se conclut dans une taverne au bord de l’eau, où nos verres s’entrechoquent sur un dernier plat de calamars grillés. Chaniá, avec sa lumière filtrée et son murmure de pierres, restera à jamais gravée dans nos mémoires : ville-palimpseste, où chaque recoin chuchote une légende, chaque façade narre un épisode, et où la mer chante, éternelle, son hymne à la liberté.

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