Geai des chênes Garrulus glandarius +

Ce matin-là, dans notre jardin de Vred, en France une apparition inattendue a suspendu le cours tranquille de nos habitudes. Posé sur une branche basse du pommier, un geai des chênes — Garrulus glandarius — s’est offert à notre regard, éclatant de couleurs et de mystère. C’était un instant rare, une rencontre avec l’un des passereaux les plus intelligents et les plus discrets de nos campagnes.
D’abord immobile, le geai semblait scruter les environs, oscillant doucement sur sa patte, prêt à détaler à la moindre alerte. Sa silhouette se détachait nettement sur le feuillage vert tendre. Son plumage richement coloré captait la lumière diffuse du matin. Son dos brun-rosé, son ventre plus clair, sa queue noire et son croupion blanc composaient une palette subtile, mais ce sont ses ailes qui attiraient l’œil : des bandes bleu ciel, finement zébrées de noir, comme un éclat de saphir enchâssé dans la forêt. La tête, coiffée de plumes qui pouvaient se dresser en huppe nerveuse, arborait une fine ligne noire passant par l’œil, donnant à l’oiseau un regard profond et expressif, presque humain.
Ce n’est pas un hasard si ce splendide visiteur appartient à la famille des Corvidae, la même que les corneilles, les pies ou les choucas. Ces oiseaux ont la réputation d’être parmi les plus intelligents de tout le règne avien. Le geai ne fait pas exception : il est capable d’utiliser des outils rudimentaires, de reconnaître son reflet dans un miroir, et surtout, de mémoriser avec une incroyable précision les lieux où il cache ses réserves. Car c’est aussi un thésauriseur méthodique. À l’automne, il passe ses journées à enterrer des glands, des noisettes ou des faines sous des tapis de feuilles, dans des creux d’écorce ou même sous des pierres, qu’il utilise comme marqueurs visuels. On estime qu’un seul geai peut cacher jusqu’à 4 000 glands par an, et en oublier une bonne partie… contribuant ainsi involontairement à la régénération naturelle des forêts de chênes et de hêtres. C’est un véritable jardinier des bois, un semeur sauvage.
Alors que nous l’observions, fasciné, il a quitté la branche pour venir sautiller sur le gazon, un peu hésitant. Chaque mouvement semblait pesé. Ce geai-là n’était pas tout jeune : ses iris bleus et brillants, caractéristiques des adultes, contrastaient avec le gris foncé qu’arborent les jeunes oiseaux. Son plumage était bien net, et ses couleurs vives indiquaient une belle santé. Apeuré par un bruit lointain ou peut-être un simple reflet, il a soudain pris son envol pour venir se poser près de la fenêtre du cabanon, nous offrant une vue saisissante, presque intime.
Le geai des chênes, omnivore, adapte son régime alimentaire à la saison. Il consomme volontiers insectes, vers, baies, petits fruits, glands, et parfois, bien qu’on le lui reproche, il peut s’attaquer à des nids d’oiseaux pour y dérober œufs ou oisillons. Dans les jardins, il n’hésite pas à se nourrir de cacahuètes, de restes de fruits, de miettes, de maïs. On le dit rusé et parfois chapardeur. Il est aussi un imitateur remarquable, capable de reproduire les cris d’autres oiseaux, les miaulements d’un chat ou même les aboiements d’un chien. Ces vocalisations lui servent à déjouer les prédateurs ou à donner l’alerte, rôle de sentinelle qu’il joue volontiers en forêt.
Lorsqu’il vole, ses ailes déployées révèlent toute la richesse de son plumage. Son vol est ondulant, saccadé mais puissant, parfaitement adapté à la forêt dense ou aux grands parcs. Il niche dans les bois clairs, les haies, les lisières et parfois jusque dans les parcs urbains. Il construit un nid solide de brindilles et de mousse, dissimulé dans les branches d’un feuillu.
Peu après, le nôtre s’est envolé à nouveau, disparaissant par-delà la haie, emportant avec lui ce bref moment de grâce. Sa venue nous a laissé un sentiment étrange : celui d’avoir reçu la visite d’un esprit libre, méfiant et vigilant, messager de la forêt venu sonder notre quiétude domestique. Depuis, chaque bruissement dans les feuillages ou cri rauque venu du haut du bouleau nous rappelle qu’il n’est peut-être jamais bien loin.