Protée anguillard Proteus anguinus
Le Protée anguillard (Proteus anguinus), également appelé olm, salamandre blanche ou salamandre des grottes, est une espèce unique d’urodèles de la famille des Proteidae. Il s’agit du seul représentant européen de cette famille et de l’unique espèce troglobie du genre Proteus. Surnommé « poisson humain » (človeška ribica en slovène) en raison de sa peau claire semblable à celle de l’homme, cet amphibien cavernicole habite les grottes karstiques des Alpes dinariques, couvrant des régions de Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et Monténégro. C’est un prédateur des profondeurs souterraines, capable de survivre dans des conditions extrêmement pauvres en ressources et sans lumière.
Le Protée est un amphibien entièrement aquatique mesurant entre 20 et 30 cm, parfois jusqu’à 40 cm. Son corps, cylindrique et segmenté par des sillons réguliers, est recouvert d’une peau fine et dépigmentée, de couleur blanc rosé, qui peut devenir noire à la lumière grâce à la production de mélanine. Il conserve certaines caractéristiques larvaires à l’âge adulte, notamment ses branchies externes rougeâtres qui assurent sa respiration principale. Des poumons rudimentaires sont également présents, mais ils jouent un rôle secondaire. Sa tête en forme de poire est terminée par un museau aplati, et ses membres atrophiés comptent seulement trois doigts aux pattes avant et deux aux pattes arrière.
Complètement aveugle à l’âge adulte, ses yeux régressent rapidement après la naissance et sont recouverts de peau. Toutefois, le Protée compense cette cécité par des organes sensoriels extrêmement développés. Sa peau est capable de détecter la lumière grâce à un pigment photosensible nommé mélanopsine. Il dispose également de récepteurs chimiques très sensibles qui lui permettent de détecter les faibles concentrations de composés organiques dans l’eau, ainsi que de récepteurs mécaniques et électriques qui lui offrent une perception fine des vibrations et des champs électriques. Ces capacités sensoriels, rares chez les amphibiens, sont des adaptations à son habitat souterrain où la lumière est absente et les ressources limitées.
Le Protée est un prédateur opportuniste qui se nourrit de petits crustacés, gastéropodes et insectes. Il ingère ses proies entières sans les mâcher. En raison de la rareté des aliments dans les grottes, il peut survivre jusqu’à dix ans sans se nourrir. Pendant ces périodes, il réduit son métabolisme, accumule des réserves sous forme de lipides et glycogène dans son foie, et peut même réabsorber ses propres tissus en cas de nécessité. Son déplacement, assuré par des ondulations serpentines, évoque celui d’une anguille.
La longévité exceptionnelle du Protée, qui peut atteindre 102 ans, intéresse particulièrement les scientifiques. Il présente une sénescence négligeable et des capacités de régénération remarquables, notamment pour ses tissus. Contrairement à d’autres organismes, la longueur de ses télomères ne diminue pas avec l’âge, ce qui pourrait expliquer en partie sa longévité. Vivant dans un milieu stable, froid et relativement protégé des prédateurs, le Protée constitue un modèle précieux pour l’étude des mécanismes du vieillissement et de la régénération chez les vertébrés.
Les grottes karstiques des Balkans, comme celles de Vjetenićra en Bosnie, sont l’habitat principal de cet animal fascinant. Il y vit dans des eaux limpides, fraîches, et peu nutritives, où il a évolué pour devenir un exemple parfait de l’adaptation à un environnement extrême. Découvert et décrit dès 1689 par Johann Weikhard Valvasor, le Protée est un symbole des écosystèmes souterrains et un ambassadeur de la biodiversité cachée. Sa préservation est essentielle face aux menaces que représentent la pollution, l’exploitation des ressources et les changements climatiques.