Nous franchissons l’imposant portail de Sultan Hanı, dans la province d’Aksaray, en Turquie centrale dont l’arche en ogive s’élève à 13 mètres de haut, encadrée par deux tours cylindriques évoquant des minarets guerriers. La pierre calcaire blonde, finement appareillée, révèle des reflets rosés sous le soleil couchant – une caractéristique des carrières d’Aksaray, situées à 40 km de là. Les muqarnas du portique, disposés en stalactites géométriques, comptent 144 alvéoles parfaitement symétriques, chacune ornée d’un motif différent : étoiles à huit branches, fleurs de lotus stylisées, et entrelacs kufiques formant discrètement le nom d’Allah.

La cour centrale, vaste rectangle de 48 mètres sur 54, est ceinturée par une galerie à arcades brisées reposant sur 26 piliers octogonaux. Chaque chapiteau présente un bestiaire sculpté : lions seldjoukides aux griffes déployées (symboles de pouvoir), paons aux queues en arabesques (emblèmes d’immortalité), et dragons avalant leur queue (représentant l’éternel cycle des caravanes). Le sol, pavé de basalte et de marbre blanc, montre encore les ornières parallèles creusées par les chariots sur un siècle d’intense trafic.

La mosquée centrale, posée sur un socle cruciforme de 8 colonnes monolithes, combine audacieusement une base byzantine (chapiteaux corinthiens réemployés) et une coupole seldjoukide à 16 nervures. L’intérieur, voûté en berceau brisé, est éclairé par 77 moucharabiehs en albâtre – un pour chaque année de règne d’Alaeddin Keykubad. Les murs enduits de horasan (mélange de chaux, de brique pilée et de blanc d’œuf) conservent des fragments de fresques bleu lapis représentant la Kaaba et les montagnes du Pamir.

Les écuries, situées dans l’aile nord, déploient 32 niches voûtées en plein cintre, chacune conçue pour abriter deux chameaux. Des anneaux de fer forgé scellés dans la pierre servaient à attacher les bêtes, tandis que des auges en granit poli inclinées à 15° facilitaient l’écoulement des eaux usées. Au plafond, des lucarnes en forme de fleur à six pétales – signature des architectes de Konya – diffusent une lumière zénithale calculée pour apaiser les animaux.

La salle d’hiver, véritable prouesse d’ingénierie, couvre 1 850 m² sous une succession de 14 dômes elliptiques supportés par des piliers massifs. Les joints entre les pierres, remplis de plomb fondu, assuraient une isolation thermique parfaite. Des tandoor (foyers souterrains) reliés à des conduits d’argile chauffaient le sol, tandis que des ouvertures réglables au sommet des coupoles permettaient de contrôler la fumée. Dans l’angle nord-est, une niche secrète dissimule un système hydraulique complexe : une roue à eau actionnée par un canal souterrain alimentait des fontaines aujourd’hui taries.

Sur la façade ouest, les murs de 2,5 mètres d’épaisseur révèlent leur structure défensive : un remplissage de pierres volcaniques légères entre deux parements de calcaire, capable d’absorber les impacts de bélier. Les meurtrières, habilement camouflées dans les motifs floraux, s’élargissent vers l’intérieur pour offrir un angle de tir de 45°.

En touchant les murs, nous sentons sous nos doigts les stigmates des siècles : impacts de flèches mongoles sur le portail nord, graffiti arméniens du XIVe siècle dans les latrines, et traces de suie noire laissées par les feux des nomades yörüks qui y campèrent au XIXe siècle. Sultan Hanı n’est pas qu’un monument – c’est une anatomie de pierre où chaque veine, chaque cicatrice, raconte la fulgurante épopée des Seldjoukides, ces nomades devenus bâtisseurs d’empire.

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SULTAN HANI

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