Le Fâ , souffle du vodoun BENIN

Notre rencontre avec le Fâ à la Villa Karo à Grand Popo a été une initiation fulgurante, une plongée dans les entrailles du temps et du sacré. Voici ce que nous avons découvert, ressenti et porté depuis, comme un secret trop lourd et trop précieux pour rester silencieux.
Origine :
Le Fâ, ou Afa, constitue l’un des piliers de la religion Vodun, un système de croyances ancestrales profondément ancré dans la culture béninoise. Selon la tradition, cette divination serait née de la rencontre entre Mawu-Lisa, la dualité divine, et les humains, offrant un langage sacré pour interpréter le chaos du monde. Son corpus littéraire, transmis oralement depuis des millénaires, se structure en 16 catégories fondamentales, appelées Mèvihwê, qui se subdivisent en 256 volumes symboliques. Ces connaissances, véhiculées de génération en génération par les bokonons (devins initiés), ne sont jamais écrites : elles se chantent, se murmurent, se dansent, formant une chaîne ininterrompue de sagesse collective. Au musée de la Villa Karo, des kpolas (tables divinatoires) centenaires, gravées de signes énigmatiques, témoignent de cette tradition orale matérialisée dans le bois et l’argile.
Signification :
Le Fâ est bien plus qu’un oracle : c’est une cartographie spirituelle, un dialogue entre les dieux, les ancêtres et les vivants. Ses 256 signes, ou du, représentent chaque destinée, chaque énergie, chaque défi possible. La divination s’effectue à l’aide d’une chaîne rituelle composée de huit graines imbriquées, appelée akplékan. Lorsqu’un bokonon jette cette chaîne au sol, les graines s’entrechoquent et s’organisent en l’une des 256 formations sacrées. Chaque configuration est interprétée à travers des récits métaphoriques, des proverbes et des chants, guidant la personne vers une prise de conscience plutôt que vers une prédiction figée. Un initié nous a expliqué, les mains posées sur un kpola recouvert de poudre d’argile : « Le Fâ ne révèle pas l’avenir, il éclaire les ombres du présent. »
Enjeux :
Pratiqué dans toute l’Afrique de l’Ouest et au sein de la diaspora africaine, le Fâ est un ciment culturel et un outil de résilience. Inscrit en 2023 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, il symbolise la vitalité des traditions face à la mondialisation. Aucune décision majeure — mariage, voyage, investissement, résolution de conflit — n’est prise sans consulter le Fâ. Les bokonons occupent ainsi un rôle central dans les communautés, tant comme conseillers spirituels que comme gardiens de la mémoire collective. Pourtant, ce savoir ancestral doit relever des défis modernes : à la Villa Karo, des jeunes expérimentent des applications numériques pour enseigner les signes du Fâ, mêlant technologie et tradition.
Anecdotes :
- Le kpola fêlé de Ghézo : Le musée abrite une kpola fissurée, utilisée jadis par le roi Ghézo du Dahomey. Selon la légende, lors d’une consultation cruciale sur la guerre ou la paix, le signe « Akpandjadan » (La Main qui se brûle en sauvant le feu) serait apparu, provoquant une fissure dans la table. Le roi aurait choisi la paix, évitant ainsi une défaite dévastatrice.
- Le Fâ 2.0 : Un artiste de la Villa Karo a créé une installation où les 256 signes du Fâ sont traduits en emojis. « 😢🌪️🔥 = Gbêdjinangnon : prudence, les larmes attirent la tempête », explique l’œuvre, fusionnant symboles ancestraux et langage contemporain.
- La chaîne de graines voyageuse : Une bokonon a confié sa chaîne divinatoire à un compositeur danois en résidence. Celle-ci fut intégrée à une symphonie jouée à Copenhague, où le cliquetis des graines, amplifié, devint une prière universelle.
- Le signe du marché : À Cotonou, une commerçante endettée a consulté le Fâ. Le signe « Kinkanmèlè » (Le Coq qui chante avant l’aube) est sorti. Suivant le conseil du devin — « Vends dès l’aube » —, elle écoula toute sa marchandise avant ses concurrents, sauvant son commerce.
En quittant le musée du Fâ, nous portions en nous cette certitude : le Fâ est une grammaire du vivant, où chaque geste, chaque symbole, chaque graine qui tombe au sol résonne comme un écho des ancêtres. Il transcende les frontières, relie les continents, et rappelle que les réponses aux défis du présent sont souvent enfouies dans les sagesses du passé. À la Villa Karo, cette philosophie vibre dans chaque mur, chaque œuvre, chaque silence partagé sous les manguiers.