Vallée de l’Asco Haute corse FRANCE +

Nous pénétrons dans la vallée de l’Asco comme on ouvre un grimoire minéral, où chaque rocher raconte l’affrontement titanesque entre le granit et les eaux. Les parois vertigineuses, striées de rouge et d’ocre, se dressent en cathédrales sauvages sculptées par la rivière Asco depuis des millions d’années. Sous nos pieds, le sentier serpente entre les blocs erratiques, vestiges des glaciers disparus qui façonnèrent ce corridor alpin en plein cœur de la Corse.

Au village d’Asco, accroché à la montagne comme un nid d’aigle, les maisons de pierre aux toits de lauze semblent jaillir du rocher. Le pont génois du XVe siècle, arche parfaite enjambant les eaux turquoise, révèle le génie des bâtisseurs d’autrefois : son tablier incliné résista aux crues dévastatrices grâce à des pierres assemblées sans mortier, selon un savoir-faire perdu. Un berger nous murmure que les ouvriers médiévaux mélangeaient du lait de chèvre au ciment pour lier les pierres — secret emporté par les ans.

En remontant les gorges, nos doigts effleurent les striures verticales du granit, mémoire des plissements tectoniques qui firent surgir le Monte Cinto, ce géant de 2 706 mètres dont la neige éternelle coiffe l’horizon. Ici, chaque vasque naturelle porte un nom lié à sa légende : la Piscia di Gallu (« pissat du coq ») doit son étrange patronyme à un rocher phallique où, dit-on, les jeunes filles venaient jadis jeter des pièces pour s’assurer fertilité.

Le GR20, sentier mythique, traverse la vallée en lacets audacieux. Nous croisons des randonneurs aux visages burinés par l’effort, suivant les traces des muletiers qui ravitaillaient autrefois les bergeries d’altitude. Sur un rocher plat, une inscription à la peinture écaillée rappelle le drame de 1956 : « Ici périt Jean-Baptiste, berger, emporté par l’orage ». Plus haut, près des aiguilles de Popolasca, nous découvrons des paines creusées dans le roc — auges primitives où les bergers salaient les fromages avant la transhumance.

L’hiver, quand la neige emprisonne la vallée, le hameau du Haut-Asco se transforme en refuge pour skieurs. Les remontées mécaniques grimpent vers les pentes où jadis les contrebandiers traçaient des chemins invisibles pour acheminer le café et le tabac depuis la Sardaigne. Un vieux pisteur nous confie, l’œil malicieux, que certaines combes cachent encore des ballots enfouis — trésors pourrissants que seuls les chamois déterrent parfois.

Au crépuscule, alors que les ombres ourlent les crêtes de pourpre, nous nous baignons dans une vasque aux eaux translucides. Des truites fario frôlent nos jambes, survivantes des crues printanières qui emportent tout sur leur passage. Sur la rive opposée, un mouflon observe notre intrusion, silhouette trapue héritée des premiers spécènes introduits par les Grecs anciens.

En redescendant vers Moltifao, nous passons devant les ruines d’un ancien four à chaux, témoin de l’industrie disparue qui alimentait les constructions génoises. Un panneau indique discrètement le sentier menant à la Grotta di u Banditu, caverne où se réunissaient les résistants corses pendant la Seconde Guerre mondiale — leurs graffiti politiques ornent encore les parois humides.

La vallée de l’Asco ne se livre pas, elle s’apprivoise. Entre les défis du GR20 et la douceur des baignades estivales, entre les murmures des vieux ponts et les rugissements des torrents en crue, elle incarne cette Corse secrète qui n’échange ses merveilles que contre de la sueur et du respect. Nous repartons avec dans les poches des éclats de micaschiste et, au cœur, l’écho des clarines des chèvres sonnant dans les estives — musique immémoriale des montagnes corses.

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